Il est plus approprié de dire que je suis bisexuel [plutôt que de dire que je suis gay.] (…) J’adore le film Autant en emporte le vent. Et j’aime aussi Leslie Howard. Ce prénom peut être celui d’un homme ou d’une femme. Il est unisexe, c’est pour ça que je l’aime.

Citation d’un entretien avec Leslie Cheung paru dans le magazine Time le 7 mai 2001

À l’exception de son amie Anita Mui, peu d’artistes peuvent s’enorgueillir d’avoir laissé une empreinte aussi indélébile sur la vie culturelle de Hong Kong que Leslie Cheung. Disparu en 2003, il reste dans les mémoires comme un acteur versatile qui a fait les beaux jours de cinéastes de renom, de Wong Kar-wai à Stanley Kwan en passant par John Woo. Ce que le monde occidental sait moins, c’est qu’il était aussi une immense star de la chanson dont l’influence s’étendait sur une grande partie du continent asiatique.

À l’instar de David Bowie et dans une moindre mesure de Freddie Mercury, il cultivait sur scène une forme d’androgynie performative qui a fait de lui une personnalité emblématique de la communauté LGBTQIA+ hongkongaise. Cette notion de performance dans l’expression du genre est au cœur de son œuvre, aussi bien à la radio qu’au cinéma. Qu’il porte des talons hauts rouges à sequins sur scène ou des robes jaunes de la dynastie Ming sur grand écran, il a grandement participé à déconstruire la vision genrée des tenues des artistes.

Parmi ses rôles les plus célèbres, on retrouve celui de Cheng Dieyi, chanteur d’opéra de Pékin de la première moitié du XXème siècle et protagoniste du chef-d’œuvre de Chen Kaige : Adieu ma concubine. Adaptée du roman éponyme de Lilian Lee, qui tire lui-même son nom d’un opéra chinois, cette fresque en costumes de près de trois heures rassemble devant la caméra trois comédien·nes de premier plan : Gong Li, Zhang Fengyi et Leslie Cheung. Sorti en 1993 et salué comme l’un des meilleurs films chinois de la décennie, le film est récompensé de plusieurs prix dont la Palme d’or du Festival de Cannes.

Zhang Fengyi, Gong Li et Leslie Cheung en marge du Festival de Cannes en mai 1993.

Adieu ma concubine débute dans les années 1920 et couvre une période historique aussi fascinante que mortifère, entre Chine des seigneurs de la guerre, seconde guerre sino-japonaise, guerre civile chinoise, Grand Bond en avant et Révolution culturelle. On suit un duo de chanteurs d’opéra : Cheng Dieyi, interprété par Leslie Cheung, et Duan Xiaolou, interprété par Zhang Fengyi. Dieyi est amoureux de Xialou, mais celui-ci se marie avec Juxian, une prostituée incarnée par Gong Li. À mesure que la situation lui apparaît de plus en plus insupportable, Dieyi finit par ne plus vivre que pour la scène, seul endroit où Xiaolou entretient encore une relation romantique avec lui, aussi factice soit-elle. Dieyi est un héros tragique, totalement consumé par son art et dévoré par la jalousie, qui ne fait presque plus la différence entre sa propre vie et celle de la concubine Yu dont il endosse le rôle année après année.

Le personnage qui me fascine le plus est celui de Cheng Dieyi, interprété par Leslie Cheung. Cheng est un acteur. Dans son monde, la distinction paraît floue entre réalité et rêve, vie et art, masculin et féminin, vie et mort, réel et imaginaire. Ne faisant aucune distinction entre lui-même et autrui, il fait fusionner la vie et l’opéra, de telle sorte que, lorsque nous assistons à son ultime acte d’autodestruction, cela ressemble à une belle pièce de théâtre.

Citation de Chen Kaige dans le livret du blu-ray d’Adieu ma concubine édité chez Carlotta Films en 2023
Leslie Cheung dans Adieu ma concubine (1993) de Chen Kaige

Diva au masculin

À l’image du personnage de Cheng Dieyi, Leslie Cheung performe sa vie plus qu’il ne la vit. Sur scène, il porte des tenues qui traduisent une certaine ambivalence quant à son rapport au genre. Sur grand écran, il incarne des rôles explicitement queer ou a minima camp. Dans sa chanson (Moi), il se compare à un feu d’artifices d’une couleur différente. Né Leung Kwok-wing, il choisit le nom de Leslie pour sa consonance unisexe. Toute cette extravagance dans sa manière de transgresser les normes genrées dénote un narcissisme pleinement assumé par la star qui n’est pas sans rappeler son personnage d’Adieu ma concubine.

Scolarisé au Royaume-Uni, il parle couramment anglais, ce qui lui permet notamment de rayonner à l’international, de son Canada d’adoption au Vietnam en passant par le Japon et la Corée du Sud. De ses années passées en Europe, il retient entre autres choses le racisme des blancs : une expérience qu’il partage avec l’actrice Maggie Cheung. De retour au pays, l’une subira le sexisme tandis que l’autre connaîtra l’homophobie : les deux grands maux de l’hétéropatriarcat qui règne à Hong Kong comme dans le reste du monde. Tous deux seront par ailleurs les victimes des paparazzi d’une presse réactionnaire.

En 1997, Leslie Cheung donne la réplique à Tony Leung Chiu-wai dans la romance homosexuelle Happy Together de Wong Kar-wai et insuffle une réelle profondeur à son rôle d’amant toxique. Il éduque par ailleurs son camarade de jeu de manière éloquente quant à la fragilité de l’égo masculin.

Lorsque nous avons essayé de tourner la scène de sexe, ça a vraiment choqué Tony. Il a refusé de la jouer. Pendant deux jours, il est resté allongé à se morfondre. Je suis allé le voir et je lui ai dit : « Regarde moi, Tony, j’ai joué tellement de scènes où j’embrassais et touchais des filles, où j’attrapais leurs seins, tu crois que ça m’a plu ? Traite cette scène comme du travail, comme une scène normale. Je ne vais pas tomber amoureux de toi, et je n’ai pas envie d’avoir une vraie relation sexuelle avec toi. Tu n’es pas mon genre. » Et il a accepté de jouer la scène.

Citation d’un entretien avec Leslie Cheung paru dans le magazine Time le 7 mai 2001

La même année, il annonce officiellement sa relation avec Daffy Tong Hok-tak, celui qui restera son compagnon jusqu’à sa mort. Il confirme ainsi sa bisexualité publiquement après avoir entretenu plusieurs relations avec des femmes, dont l’actrice Teresa Mo.

Mon esprit est bisexuel. C’est facile pour moi d’aimer une femme. C’est facile également d’aimer un homme.

Citation de Leslie Cheung dans le livre Leslie, Dance, Dance, Dance de Law Wei-ming (2003)

Performance d’une vie

Leslie Cheung utilise les mots bisexuel (双性) et androgyne (雌雄同体) de manière presque interchangeable pour décrire sa façon d’être mais aussi son travail. Par abus de langage, il évoque aussi une certaine intersexualité, une masculinité féminine et une féminité masculine. Ce caractère fluide du genre induit une forme de performance aussi bien sur scène que devant la caméra ou dans sa vie quotidienne. Il incarne la personne qu’il est censé être, et fait siens les stéréotypes genrés pour mieux les travestir. De même qu’il accorde peu d’importance à ce qui est considéré comme masculin ou féminin, il se moque du genre de saon partenaire dans une relation amoureuse.

Je crois qu’un bon acteur se doit d’être androgyne et en évolution permanente.

Citation de Leslie Cheung dans l’article Queering Body and Sexuality: Leslie Cheung’s Gender Representation in Hong Kong Popular Culture de Natalia Sui-hung Chan paru dans le livre As Normal as Possible, Negotiating Sexuality and Gender in Mainland China and Hong Kong supervisé par Yau Ching (2010)

On constate de nombreuses similitudes entre Leslie Cheung et son personnage de Cheng Dieyi dans Adieu ma concubine. Pour l’un comme pour l’autre, expression du genre et sexualité son étroitement liées par la performance scénique, tandis que l’identité de genre traduit une forme d’agenrisme ou à tout le moins de non-binarité. Pour autant, genre et sexualité sont deux concepts distincts et il serait faux de considérer que l’identité de Dieyi se résume à l’amour homosexuel qu’il porte à Xiaolou.

Au-delà de son homosexualité, Dieyi est également obsédé par le personnage de la concubine Yu, qu’il incarne sur scène aux côtés de Xiaolou. Il adopte son maniérisme même en coulisses, et en vient à jalouser Juxian, non seulement pour la relation qu’elle entretient avec celui qu’il aime, mais aussi pour sa féminité. C’est une caractéristique commune à de nombreuses personnes transgenres : l’envie de genre se traduit parfois par une jalousie maladive des personnes cisgenres pour les attributs physiques qu’ils arborent naturellement sans avoir besoin d’avoir recours à la performance.

Leslie Cheung dans Adieu ma concubine (1993) de Chen Kaige

Leslie Cheung s’investit pleinement dans le rôle de Dieyi et adopte lui aussi le maniérisme de la concubine Yu. Même s’il cherchera plus tard à mettre de la distance entre ce rôle de cinéma et sa vie personnelle, il est certain qu’il met beaucoup de lui dans ce film. Initialement, deux doublures sont prévues pour les scènes d’opéra, mais l’acteur apprend la danse traditionnelle auprès de chanteurs de Pékin et sa prestation est unanimement saluée par les spécialistes. Avec le concours de Zhang Fengyi, il suggère même à Chen Kaige de modifier la fin du film pour offrir une mort tragique à Dieyi, là où le roman de Lilian Lee propose une fin ouverte et douce-amère.

Mauvais genre

Certaines personnes de la communauté LGBTQIA+ considèrent toutefois Adieu ma concubine comme une vision tordue et homophobe de l’homosexualité et de la transidentité, d’autant plus que Chen Kaige est un homme hétérosexuel cisgenre. Il est vrai que Dieyi ne choisit pas de projeter cette forme de féminité sur scène comme en dehors : il est au contraire conditionné à le faire étant enfant et subit de nombreux châtiments corporels pour adopter une attitude digne des rôles de femmes auxquels le destinent ses professeurs.

On pourrait de ce fait arguer que Dieyi développe des sentiments pour Xiaolou suite à son trauma, ou que son identité de genre lui a été imposée par la force. Pour autant, ce serait renier une forme d’expression du genre qui était commune parmi les jeunes garçons dans le monde de l’opéra chinois à l’époque. Que leur transidentité soit subie ou choisie importe peu : elle est tour à tour innée et acquise.

De nos jours, certaines personnes transgenres indiquent avoir toujours su quelle était leur véritable identité de genre tandis que pour d’autres elle évolue au fil des expériences de la vie. Aucune de ces deux sensibilités n’est moins valide que l’autre et les événements traumatiques contribuent à forger l’identité d’une personne. C’est le cas de Dieyi : tous ses camarades de classe ont connu les brimades et les sévices des maîtres, mais lui seul semble développer cette conscience d’une part de féminité.

Leslie Cheung et Zhang Fengyi dans Adieu ma concubine (1993) de Chen Kaige

Ce manque de considération pour la transidentité de Dieyi n’est pas sans rappeler certaines rhétoriques transphobes ou transmédicalistes : son personnage dérange parce qu’il ne se conforme pas à l’idée que l’on se fait d’un parcours transidentitaire. C’est aussi par exemple l’une des raisons pour lesquelles une partie de la communauté transgenre, y compris la personne qui écrit ces lignes, entretient une relation ambivalente avec le drag. On peut y voir une forme de moquerie, de réduction de l’expression de genre à ses caractéristiques les plus criardes et stéréotypées, souvent par des personnes elles-mêmes cisgenres. Pourtant, la communauté drag et Leslie Cheung ont en commun qu’ils abattent les barrières du genre pour tout le monde, y compris les personnes hétérosexuelles et cisgenres.

En définitive : Dieyi, Leslie Cheung et les artistes drag tendent un miroir à la société. Ce que l’on choisit de détester au sein de notre reflet trahit nos propres insécurités. On craint pour notre masculinité quand Leslie porte des escarpins sans raser sa moustache, pour notre transidentité quand Dieyi bégaie alors qu’il récite le texte de la concubine Yu, ou encore pour notre crédibilité en tant que personne transgenre quand un·e artiste drag est trop excentrique à notre goût. Ce sont pourtant l’outrance et l’absence de normativité qui sont le plus à même de garantir notre émancipation de l’hétéropatriarcat.

(Mal) aimé

Quand Leslie Cheung se résout enfin à remonter sur scène en 2000 après avoir abandonné sa carrière de chanteur au début des années 1990, il décide de mettre les petits plats dans les grands. Il est alors au sommet de sa popularité, que ce soit à Hong Kong ou à l’étranger, et sa tournée Passion bat des records partout en Asie. Au Japon, où il est particulièrement apprécié, ce ne sont pas moins de seize concerts qui sont programmés : une première pour un artiste étranger.

Désormais coutumier des performances scéniques exubérantes, il souhaite montrer le vrai Leslie à son public. Pour présenter une image parfaitement androgyne et originale, il fait appel au couturier français Jean-Paul Gaultier, qui assure personnellement la création de ses costumes de scène.

Leslie Cheung, habillé par le couturier Jean-Paul Gaultier, lors de sa tournée Passion en 2000.

La variété de prestations scéniques transgenres que Cheung fut le premier à interpréter sur scène reste sans précédent dans les arts du spectacle et de la musique populaire de Hong Kong. Si ces prestations scéniques sont légendaires, elles ont aussi brisé un tabou social majeur.

Citation de Natalia Sui-hung Chan, professeure à l’Université Chinoise de Hong Kong, dans le livre Cantopop : Brève histoire de la musique la plus populaire de Hong Kong de Chu Yiu-wai paru en 2017

Pourtant, même si la tournée Passion est un triomphe populaire qui est acclamé par la critique à l’étranger, la mise en scène axée sur le travestissement de l’artiste déplait à la presse hongkongaise. Célébré partout ailleurs, y compris au Canada où il a élu résidence pour fuir la rétrocession de 1997, Leslie Cheung n’en demeure pas moins mal aimé dans sa ville natale. On l’aime, ce n’est pas le problème. Seulement, on l’aime mal. On l’aime pour sa voix, pour sa beauté, pour ses talents d’acteur, pour son humour, mais on ne l’aime pas pour ce qu’il tient de plus cher : son identité.

La subtilité dans cette critique de son être réside dans le fait qu’il ne porte ce genre de tenues que sur scène, lorsqu’il est en pleine expression de son genre et de sa sexualité. Contrairement à des artistes hétérosexuels comme Andy Lau ou Aaron Kwok qui s’adonnent eux aussi à des performances camp, Leslie Cheung est un personnage public queer bon chic bon genre, dont seules les performances scéniques traduisent une vérité qui dérange dans une société chinoise, et par extension hongkongaise, réactionnaire. Pour cette raison, des articles assassins accompagnent sa tournée à Hong Kong. Suite à ces critiques au vitriol, il envisage de ne plus jamais monter sur scène et entame une dépression profonde. Jean-Paul Gaultier s’émeut lui aussi de l’intolérance de la presse locale et déclare qu’il n’habillera plus jamais d’artiste hongkongais tout en soutenant publiquement le chanteur face à cette injustice.

Jean-Paul Gaultier et Leslie Cheung lors des essayages de la tournée Passion en 2000

Malgré la maladie qui ronge son esprit jour après jour, Leslie Cheung envisage alors de devenir cinéaste. Comme pour appuyer la ressemblance avec ses homologues féminines, il ressent un désamour du public à mesure qu’il vieillit. Son apparence physique l’inquiète et il ne conçoit plus l’avenir que derrière la caméra. Des personnalités du milieu du cinéma l’encouragent dans cette voie, comme Sylvia Chang et Stanley Kwan.

Il a tellement d’expérience que maintenant, quand il lit un script, il ne regarde plus seulement son propre rôle mais a une vision d’ensemble du film. Il a compris que le plus important, c’est la qualité du film et non du rôle qui lui est attribué. C’est un grand pas en avant.

Citation de Stanley Kwan dans un article du South China Morning Post du 10 avril 2002

Alors qu’il vit la période la plus difficile de sa vie, la presse pourchasse Leslie Cheung dès qu’il se rend à Hong Kong pour travailler. Sa popularité est un fardeau, son exposition médiatique est une lame à double tranchant : les discriminations dont il est victime sont amplifiées par son statut.

Ils me suivent partout. Ils connaissent ma plaque d’immatriculation. Ils sont là que je sois à l’hôtel ou au club. Je n’ose même plus sortir mes ordures. Des gens tenteraient de trouver quelque chose dedans pour le vendre.

Citation d’un entretien avec Leslie Cheung paru dans le magazine Time le 7 mai 2001

Un destin similaire à celui de Cheng Dieyi attend malheureusement Leslie Cheung en ce début de nouveau millénaire : il ne concrétisera jamais ses ambitions de metteur en scène.

The Day the Music Died

Le 1er avril 2003, Leslie Cheung met fin à ses jours en sautant de la terrasse de sa chambre d’hôtel au Mandarin Oriental de Hong Kong. Il laisse derrière lui une brève lettre d’adieu qu’il signe de son prénom anglais et dont le premier mot indique clairement la cause de son suicide.

Dépression !!
Merci à tous·tes mes ami·es.
Merci à la professeure Felice Lieh-mak.
Ça a été une année difficile.
Je n’en peux plus.
Merci à monsieur Tong.
Merci à ma famille.
Merci à sœur Fei.
Je n’ai jamais rien fait de mal de ma vie, pourquoi les choses sont-elles ainsi ???

Leslie

Traduction de la lettre d’adieu de Leslie Cheung

Malgré l‘épidémie de SRAS qui fait rage à l’époque, des dizaines de milliers de personnes affluent à Hong Kong pour assister à ses funérailles. Parmi elles, de nombreuses célébrités : sa disparition tragique émeut profondément la communauté LGBTQIA+ ainsi que l’industrie du divertissement. Il ne faut cependant pas longtemps à la presse et au gouvernement hongkongais pour tenter une récupération nauséabonde de la mort de l’acteur. Au lendemain de son décès, les médias avertissent la population : la dépression qui est à l’origine la mort de Leslie Cheung serait inhérente à son homosexualité. Dans les colonnes de certains journaux se mêlent conseils pour soigner la dépression, prévenir le suicide et corriger la sexualité de la jeunesse. Au plus noir de cette panique morale, certain·es comparent même l’homosexualité au SRAS : cette orientation, semblable à une épidémie, serait une dangereuse idéologie qui mènerait à une vie de misère dont l’unique issue serait le suicide.

Anita Mui aux funérailles de Leslie Cheung en avril 2003.

Il va de soi que ces propos n’ont rien de scientifiques et sont symptomatiques d’une homophobie extrêmement répandue à Hong Kong. De telles calomnies ne sont malheureusement pas sans conséquences et contribuent à toujours plus de discrimination, de stigmatisation et de marginalisation de la communauté homosexuelle hongkongaise, jusqu’à causer de nouveaux suicides dans les mois qui suivent la mort de Leslie Cheung. Ces réactions ne sont toutefois pas plus idiosyncratiques à la ville de Hong Kong qu’au début des années 2000. En effet, aujourd’hui encore, une vague de transphobie teintée des mêmes arguments déferle sur le monde occidental depuis le Royaume-Uni et les États-Unis.

Solitude d’un autre genre

De toute évidence, Leslie Cheung était bisexuel et évoquait son rapport au genre comme le ferait une personne non-binaire, voire agenre pour certaines de ses déclarations. Ce ne sont ni sa sexualité, ni son identité de genre, ni son expression de genre qui l’ont fait sombrer dans la dépression. Si une idéologie est responsable de sa mort, c’est plutôt le conservatisme réactionnaire qui empêche des millions de gens de vivre leur vie comme ils l’entendent depuis des milliers d’années, dans le seul but d’empêcher la remise en cause de l’hétéronormativité qui conditionne chaque individu dès la naissance.

Lettre d’adieu laissée par Leslie Cheung avant son suicide le 1er avril 2003.

Leslie n’a évidemment rien fait de mal : tout au plus a-t-il tendu un miroir aux doutes et aux peurs d’une ville qui ne l’a jamais vraiment compris. Malgré ses millions de fans, ses ami·es, sa famille et son compagnon, à la toute fin, il était aussi seul que Cheng Dieyi au moment de brandir une dernière fois son épée. S’ils ont tous deux souffert de l’incompréhension et de l’intolérance de leurs contemporain·es, ils ont cependant apporté de la joie à leur public tout au long de leur vie. C’est peut-être une maigre consolation quand on est si seul sur la plus grande scène du monde, mais c’est déjà beaucoup.

Leslie Cheung interprète American Pie de Don McLean à Hong Kong lors de sa tournée Passion en 2000. Incidemment, c’est avec cette chanson qu’il a fait ses début 23 ans plus tôt.

Repose en paix, Leslie.
Sincèrement, une admiratrice qui elle aussi aime bien son prénom unisexe.

Sources :

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